ON ACHÈVE BIEN L’ÉLECTRO
Publié dans le n°719 Petit Bulletin Grenoble - Mise en ligne : 09/2009
L’association Hadra, dédiée à la promotion des esthétiques trance, a dû renoncer à son festival estival faute de lieu et de soutien adéquats. Mais ses forces vives gardent le cap et proposent avec Eclectique deux soirées hautes en couleurs, faisant gentiment la nique à un contexte national carrément morose… François Cau
On pensait que le temps ferait son office, que la normalisation de l’image des musiques électroniques via ses manifestations phares - désormais majoritairement sous tutelles publiques - pourrait changer la donne. Mais non, l’électro suscite toujours autant de circonspection, dans un climat culturel national marqué par les restrictions en tous genres, et ne tendant pas vraiment à encourager les initiatives atypiques en dehors de cadres préétablis. Et, c’est un fait, les privés caressant le fou désir d’organiser des festivals ont de plus en plus de mal à mener à bien des projets pourtant soucieux de jouer le jeu de la légalité, de la sécurité, et of course, de l’émulation artistique tous azimuts. A ce titre, le travail mené par l’association Hadra via son événement majeur (le Hadra Trance Festival) se fait le témoin vibrant d’une approche on ne peut plus responsable, bien éloignée des clichés tenaces accolés à la scène électronique dans son ensemble. Une logistique carrée, un travail de sensibilisation conséquent en amont, un professionnalisme à tout crin qui, dans un monde parfait, serait une profession de foi suffisante. C’est malheureusement loin d’être le cas.
A la recherche du site perdu
Alors oui, certes, un événement trance qui se respecte (comme l’explique Benoît en interview ci-contre) s’organise en extérieur, favorisant avec une déconcertante facilité l’amalgame avec les free party. À charge dès lors aux forces de proposition d’assurer à tous les niveaux une pédagogie permanente, de convaincre du bien-fondé de la démarche. En fonctionnant de la sorte, Hadra a pu dans un premier temps organiser son festival dans la commune de Chorges, avant qu’un changement de l’équipe municipale ne mette court à l’expérience. Le repli se fera vers Pontcharra, avec bonheur, même si la réalité du site et surtout sa sécurisation en fonction des nouvelles normes draconiennes présage de l’impossibilité de sa reconduction – il faudrait 80 000 euros pour assurer le coup, ce qui sur un budget de 210 000 euros fait tout de même un peu mal... Hadra part donc en 2009 à la recherche d’un nouveau site dans toute la région Rhône-Alpes, battant le rappel des préfectures et autres collectivités locales. Après une valse des portes closes, une réponse positive semble émaner de l’ADDIM, structure drômoise de soutien au développement artistique, avant qu’un vote du Conseil d’Administration ne coupe court à cette idée. Interrogée par nos soins, Christine Priotto, conseillère générale drômoise déléguée à la culture et membre de l’ADDIM, est sur la défensive, consciente que «les musiques électroniques sont un sujet sensible». Elle assure n’avoir rien contre ces esthétiques, et affirme que «le département n’a pas identifié la nécessité de développer un événement autour des musiques électroniques». Et le Hadra Trance Festival de rester le bec dans l’eau.
La dernière croisade
En lien avec Technopol, association “historique“ de soutien à la culture électro (à qui l’on doit l’organisation de la Techno Parade), Hadra lance fin juillet un appel à témoignage sur les difficultés rencontrées par les organisateurs privés. Et il s’avère que ses démêlés ne constituent pas un cas isolé cette année. Le festival Elektro Circus de Carpentras, malgré toutes les concessions accordées à la mairie tant sur la logistique que sur la ligne artistique, se voit refuser la tenue de sa sixième édition. Et de son côté, le festival Electro Clique se voit toujours bouté hors de Besançon – Vincent, de l’association organisatrice Citron vert, nous explique : «On veut faire découvrir l’électro et les arts numériques dans des lieux publics, on ne vise pas à se cantonner à la production, à faire des soirées payantes à 25/30 euros. Notre association a sept ans, on a eu très tôt le souci d’organiser des événements légaux, réglementés, on a joué le jeu mais on a toujours les mêmes fins de non-recevoir. Comme si on voulait nous faire retourner dans les bois…». Les cas de l’Hadra Trance Festival, d’Elektro Circus et d’Electro Clique ne sont pas anecdotiques : nous avons affaire à trois structures organisatrices responsables, volontaires, s’accordant systématiquement à des contraintes légales de plus en plus restrictives pour les événements liés aux musiques électroniques. Et qui surtout, ne se laisseront pas décourager ; Hadra poursuit ses activités, avec notamment cette semaine deux jours de festivités à l’Ampérage (voir ci-contre), et ses représentants rencontreront l’élue à la culture grenobloise Eliane Baracetti (qui réaffirme le soutien de la municipalité à l’association, en reconnaissant notamment la qualité de son action) d’ici quinze jours pour faire le point.
AU CoeUR DE LA LUTTE
Entretien avec Sophie Bernard de
Technopol, association vouée à la
promotion et la défense des musiques
électroniques. Propos recueillis par
François Cau
Petit Bulletin : Pourriez-vous me récapituler les raisons qui vous ont poussé à faire circuler cet appel à
témoignage ?
Sophie Bernard : L’association Technopol s’est créée en 1996 suite à l’annulation d’une soirée qui devait se dérouler à la Halle Tony Garnier à Lyon. Les acteurs de la scène ont ressenti la nécessité de se fédérer pour faire évoluer l’image du mouvement techno et dialoguer avec les pouvoirs publics. La défense des organisateurs a ainsi toujours été une priorité de l’association. Il faut préciser que Technopol défend prioritairement les organisateurs qui ont fait le choix de la légalité ou en tout cas qui sont dans une démarche de professionnalisation. Le dancefloor est l’organe vital des musiques électro. C’est là où le public rencontre des artistes connus mais aussi et surtout émergents. Sans diffusion, donc sans soirées, les artistes, les labels, les disquaires, les organisateurs s’essouffleront et il ne restera que la partie la plus commerciale de la techno. Il est vital que tous les courants musicaux de l’électro (du
dub à la drum’n’bass et à la trance…) puissent avoir accès à des espaces de diffusion, du terrain de plein air à la salle des fêtes municipale. C’est dans cet esprit que nous souhaitons avec Hadra en savoir plus sur la situation actuelle des organisateurs en France.
Quel fut son écho, quels genres de réponses avez-vous obtenu ?
Pas assez sincèrement. Nous devons relancer l’appel. Nous pensions que la période estivale était propice à cet appel car c’est la période des teufs et des festivals, mais au final c’est aussi la période où les personnes sont les moins dispo, car en vacances ! Les réponses obtenues démontrent des difficultés à obtenir salle et autorisation. Cependant nous devons avoir des précisions de la part des organisateurs qui ont répondu, obtenir des documents écrits pour pouvoir amorcer un vrai état des lieux.
Selon vous, l’image des musiques électroniques et des événements affiliés a-t-elle évolué dans l’inconscient collectif ?
Oui et de façon positive si l’on parle du grand public. Le succès de la Techno Parade en est une preuve. Il y a 10 ans, elle réunissait que des aficionados, aujourd’hui, l’électro fait danser dans toutes les chaumières. Cependant, sur le terrain, la parano et la diabolisation des événements électro sont réelles. Il est très difficile d’obtenir des autorisations quand on prononce le mot « techno ». Le mouvement subit toujours une image négative véhiculée par les médias à l’occasion des grands rassemblements comme les teknivals, qui restent des événements spécifiques et non
représentatifs de l’ensemble des événements électro. Les pouvoirs publics sont toujours difficiles à convaincre.
La situation a-t-elle atteint un seuil critique cette année particulièrement ?
Personnellement, vers les années 93-97, la situation me paraissait bien pire. Le mouvement techno subissait à l’époque une grande répression policière. Les pouvoirs publics s’appuyaient sur la circulaire de 95 "les rave parties, une situation à hauts risques" dont l’objet était l’interdiction de tout rassemblement diffusant de la musique électronique. En 98, grâce au poids médiatique de la Techno parade, Technopol a obtenu l’élaboration de l’actuelle circulaire sur "les manifestations rave et techno" qui supprime la discrimination musicale et reconnaît les musiques électroniques comme une culture à part entière. Reste le problème de la légalité des événements, les plus en marge qui refusent toute demande d’autorisation ou de déclaration peuvent toujours être victimes de grandes violences
policières. En fait aujourd’hui, le système est plus pernicieux. On vous empêche de faire la soirée. Le motif « techno» n’apparaît plus mais on invoque le « risque de trouble à l’ordre public », on colle des barrages de polices qui réfrènent le public pour venir à la soirée... La situation est différente d’il y a 15 ans, mais reste critique. Aujourd’hui, ce qui est grave, c’est le ras le bol des organisateurs (ayant fait le choix de la légalité) qui d’un côté voient des teknivals « autorisés » et de l’autre des gros festoches subventionnés, alors que eux galèrent à avoir un terrain ou une salle municipale pour une soirée de taille moyenne... Au final, soit ils abandonnent leurs projets, soit ils choisissent le maquis techno...
Gardez-vous espoir quant à une éventuelle prise de position du Ministère de la Culture sur le sujet ?
Oui. Le ministre vient à la Techno Parade samedi 19 septembre prochain. Nous espérons d’ici là échanger avec son cabinet et obtenir une date de rendez-vous pour lui présenter les acteurs et la scène électro. Sinon, on lui en parlera en live le jour J devant les caméras. Ça fait toujours son effet...
Si vous lisez ces lignes et que vous vous sentez concerné, répondez à cet appel à témoignage, il y va de l'avenir des musiques électroniques, connectez vous sur www.technopol.net (appel à témoignage)
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